! Que bella es la vida !

! Que bella es la vida !
Año 2000 en su casa de Paris

jeudi 15 janvier 2009

Gérard Malgat: notre ami Carlos García Terán

A notre ami Carlos García Terán
lieutenant de la République espagnole
qui vient de nous quitter
Foto cedida por Fabiola Rodriguez Lopez
Texte de son ami Gérard Malgat lors de son  intervention  à la mairie de Charlevilles-Mézières

Tu nous as donc quittés ami Carlos, lieutenant de la République espagnole, ce jeudi 8 janvier, au coeur de cet hiver 2009 de froid et de neige. Tu t’en vas soixante dix ans jour pour jour après cet autre hiver, celui de 1939 pendant lequel des centaines de milliers d’Espagnols, militaires loyaux envers le gouvernement légitime de l’Espagne, mais aussi civils de tous âges, femmes, enfants, vieillards, durent refluer à pied vers la frontière française pour échapper à l’impitoyable répression perpétrée par les troupes franquistes. Nous nous rappelons avec toi Carlos : La guerre d’Espagne se terminait par cette tragique « Retirada », tes concitoyens républicains allaient être poussés, parqués sur les plages et dans des camps par une République française qui n’avait pas su, pas voulu apporter son soutien militaire au combat de la République voisine, à ce gouvernement de Front populaire espagnol attaqué par les militaires trahissant leur gouvernement avec le soutien des forces fascistes venues d’Allemagne et d’Italie.
Oui, souvenons-nous avec toi, ami Carlos, comment cette multitude d’hommes et de femmes qui avaient cru en la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », qui avaient chanté La Marseillaise -que quelquefois ils connaissaient mieux que l’hymne de Riego- dans les rues de Barcelone ou de Madrid comme chant de résistance contre les troupes factieuses, furent jugés « indésirables » et internés dans des camps délimités à la hâte par des kilomètres de fil barbelés, dans le sable et le vent des plages du Roussillon ou le froid de lugubres baraques dans les terres de l’Ariège.
Tu ne participas pas à cette Retirada, car tu avais été fait prisonnier, avant d’être condamné à mort par un tribunal militaire osant se réclamer de la justice pour appliquer ses sinistres sentences. Pendant des mois, chaque soir, avec tes compagnons tu te demandais si tu allais être inscrit sur la liste des fusillés de l’aube, « entiers dans vos convictions malgré ce qui en vous protestait contre la certitude d’être fusillé », pour reprendre les mots de ton témoignage sur ce terrible épisode de ta vie, paru en septembre 1956 dans la revue Esprit.
Pendant que tu passais de longues années dans les prisons franquistes, de nombreux Républicains espagnols exilés en France choisirent d’entrer dans la Résistance et rejoignirent les maquis, apportant leur expérience du combat et leur détermination pour vaincre la bête immonde qui avait participé à l’anéantissement de leur République. Pendant ces années, d’autres républicains continuaient de passer la frontière clandestinement pour échapper à la répression.
Quelle ne fut pas ta déception Carlos, quelle ne fut pas la douleur et la colère de tous ces Espagnols exilés partout dans le monde, lorsqu’en 1945 les Forces Alliées qui venaient de libérer la France du joug nazi ne prolongèrent pas leur combat de Libération vers l’Espagne, laissant le dictateur fortifier son sinistre régime. Eux qui avaient lutté pour la Libération de la France et de l’Europe, eux qui en août 1944 avaient été en première ligne pour libérer Paris dans les colonnes de chars de la division Leclerc, se sentirent trahis une nouvelle fois, abandonnés, victimes d’une énorme injustice. Pour eux la guerre n’était pas finie, ne pouvait pas l’être tant que l’Espagne subirait une chape de sang et de plomb, tant que les prisons seraient pleines de prisonniers républicains.
Du demi-million d’Espagnols qui avaient passé la frontière en 1939, des milliers qui la franchirent au cours des années suivantes, près de 200.000 décidèrent de rester en France. Ils s’installèrent pour travailler, les jeunes se marièrent et fondèrent une famille, tous écrivirent une nouvelle page de leur vie sans rien renier de celle qu’ils avaient écrite entre 1931 et 1939 en Espagne. C’est ainsi qu’avec ta chère Isaura vous êtes arrivés en 1951, après être entrés clandestinement en France dans des conditions difficiles et que vous vous êtes installés à Charleville-Mézières pour trouver refuge et réorganiser votre vie, la gagner. Tu as exercé différents métiers, tour à tour ouvrier, magasinier, professeur d’espagnol et interprète.
Il y a plus de quinze ans, j’avais fait ta connaissance grâce à notre ami commun Wence Rioseco, lui aussi exilé après avoir enduré des années de prison, lui aussi arrivé à Charleville par la violence sanglante d’un autre dictateur, ayant en 1973 assassiné le Front populaire chilien dirigé par Salvador Allende. Au fil de nos rencontres tu m’as fait connaître la figure et l’œuvre de ton grand ami l’historien Manuel Tuñón de Lara, avec qui tu avais partagé la prison puis l’exil ; je t’ai raconté mon travail sur Max Aub, cet écrivain né à Paris, devenu Espagnol pas les séismes de la première guerre mondiale et Mexicain par ceux de la deuxième. Car en 1940, alors que son engagement républicain l’avait obligé à fuir l’Espagne et qu’il s’était réinstallé à Paris, le gouvernement de Vichy le considéra -comme tant d’autres antifascistes réfugiés en France- « indésirable ». Il fut interné dans les camps du Vernet d’Ariège puis de Djelfa sur les plateaux Algérois, d’où il put sortir en mai 1942 avant de s’exiler au Mexique. Tu m’as dit combien tu aimais lire ses livres de témoignages sur cette période de sang et de camps, et il est vrai que Max Aub te ressemblait : franc, parlant « sin pelos en la lengua », provocateur, aimant l’humour comme forme pudique de la gravité, cet humour par lequel tu te faisais guitariste en jouant de ta canne aux côtés de ton ami Paco Ibáñez ou marin de la terre en faisant, toujours de ta canne, la dernière épave flottante du Titanic ; rieur, impertinent, intransigeant aussi envers les ennemis de la liberté.
Ami Carlos, tu viens de terminer ton chemin hors de ta chère Espagne, qui chaque jour de cet hiver 2009 admet un peu plus qu’elle se doit de donner place à la mémoire des Républicains espagnols, à tous ces hommes et ces femmes qui luttèrent et moururent pour sa liberté, dont beaucoup reposent encore dans des fosses communes. Cette mémoire est aussi la nôtre, car les valeurs de la République dépassent les frontières. Tu jubilais quand tu voyais de jeunes Espagnols brandir le drapeau aux trois couleurs rouge, jaune et violette de l’espoir d’une future troisième République espagnole.
Salut à toi ami Carlos, combattant de la liberté et…
¡Viva la República !
Gérard Malgat
Charleville, le 14 janvier 2009.

*************
Gérard Malgat a publié un excellent travail sur Max Aub
"Max Aub y Francia o la esperanza traicionada"
Editorial Renacimiento, 2007
398 pages
Au sujet de ce livre lire:

0 commentaires: